Empathie

Jusqu’à quel point sommes-nous touchés par la douleur d’autrui ? Que se passe-t-il alors dans notre cerveau pour que la souffrance des autres nous attriste ?

Il faudrait parler de compassion pour évoquer l’émotion qui nous amène à souffrir avec une personne en souffrance. Un élan qui s’inscrit, en fait, dans une aptitude psychique plus globale: l’empathie, autrement dit, la capacité à comprendre la vie intérieure de l’autre en se mettant à sa place. Empathie et compassion en sont venues à se confondre dans le langage courant, sans doute parce que nous sommes rarement indifférents aux douleurs des autres… Mais pourquoi et comment fonctionnent-elles? Et jusqu’à quel point?

On a mal pour les autres parce que, d’abord, cela nous est utile. «Le développement de l’empathie est une réponse évolutive, note le Dr Serge Tisseron, psychiatre et psychanalyste. C’est une capacité qui permet de s’occuper des bébés en leur apportant ce dont ils ont besoin, mais aussi de percevoir ce qui est bénéfique ou dangereux pour le groupe. Je sais, en voyant la souffrance d’un congénère qui touche un morceau de bois rouge et fumant, que je ne dois pas faire de même.» L’empathie s’élabore dans l’enfance autour de trois composantes. Vers l’âge de 1 an, le bébé dépasse le stade de la fusion émotionnelle qui le fait sourire quand sa mère sourit, pour accéder à l’empathie affective. Il devient capable d’identifier des émotions diverses au travers des mimiques: «Tes pleurs me disent que tu as mal.»

Puis vers 4 ans et demi, apparaît l’empathie cognitive: «Je sais que tu as mal parce que je sais que tu t’es cogné.» L’enfant sait désormais que les autres ont des expériences du monde différentes des siennes. Ces deux composantes de l’empathie, affective et cognitive, se combinent entre 8 et 12 ans pour en former une troisième: l’empathie mature, qui permet de se mettre émotionnellement à la place de l’autre, et de dire: «Si je me cognais, j’aurais mal aussi.»

L’alchimie empathique de notre cerveau est visible à l’imagerie cérébrale: souffrir ou voir souffrir… et l’on constate que les mêmes zones s’activent. Mais ce sont les aires émotionnelles du cerveau qui sont stimulées ainsi, et non pas ses aires sensorielles, ce qui explique, notamment, pourquoi on ne confond pas sa propre douleur avec celle de l’autre. «Le partage émotionnel de la douleur n’est pas mécanique pour autant, souligne le Dr Tisseron, il est sous contrôle cognitif, modulé par ce que l’on sait du contexte et de la personne que l’on observe, mais aussi par les sentiments qu’on lui porte.»

Une étude sur des supporters d’un club de rugby a montré que, dans leur cerveau, les zones liées à la douleur s’activaient en cas de blessure dans leur équipe, mais pas pour un joueur de l’équipe adverse: là, ce sont plutôt les zones du plaisir qui se réveillent…

C’est parce que les soignants sont capables de contenir leur compassion qu’ils peuvent se protéger et éviter d’être envahis par la douleur de l’autre, au risque, d’ailleurs, de la contenir jusqu’au déni — comme cela a été longtemps le cas avec la douleur de l’enfant, par exemple. Mais c’est aussi grâce à leur empathie qu’ils s’investissent dans la démarche de soin. Cette prise en compte émotionnelle de la douleur de l’autre peut-elle participer à son soulagement, y compris en améliorant les réponses physiologiques de l’organisme souffrant? C’est une hypothèse récente qui semble en voie d’être confirmée par l’équipe NeuroPain du Pr Garcia-Larrea, au Centre de recherche en neurosciences de Lyon.