Les pensées de guerre

L’incapacité des peuples européens à faire la guerre aujourd’hui, est le détournement de leurs pulsions par la société du spectacle et du divertissement.

« Une théorie, qui s’appuie sur de nombreuses lectures de l’histoire des civilisations et l’histoire militaire, est que l’homme fait la guerre depuis la nuit des temps, fondamentalement, parce qu’il aime ça. Le jeune homme dans la force de l’âge aime cet état limite. On ne pratique pas une activité aussi intensive durant des millénaires, aussi massivement, dans un dégoût unanime. »

Or c’est un phénomène historique rarissime auquel nous assistons. Cela c’était déjà vu à Rome, mais sur un échantillon de population beaucoup plus réduit, et au sein d’une société qui à ses limites demeurait extrêmement violente. Là nous assistons véritablement à un phénomène de masse. Notre violence tout comme notre besoin de catharsis, ou notre libido, sont sciemment détournés au profit de cette société du spectacle et de la consommation. On prend son shoot d’adrénaline sur console, on va prendre sa dose de cruauté sanguinolente sur netflix ou HBO, on va détourner nos pulsions sur Amazon, on va se dépasser au sein d’un job interchangeable et sans intérêt avant de prendre sa dose de psychotrope en pharmacie ou lors d’un afterwork.


Les paradoxes : L’incapacité des Occidentaux à faire la guerre, et même à penser la guerre, semble se traduire dans un triple étiolement intellectuel, physique et moral (spirituel).

– Moral et spirituel, puisque le culte du « Progrès » a remplacé toute forme de spiritualité ; bien au contraire, ce sont le mépris, voire la haine de tout ce qui est spirituel qui tiennent aujourd’hui lieu de « religion » ; seuls comptent désormais les besoins physiques et les plaisirs des sens. La science et la technique sont adulées telles d’antiques divinités païennes ;

– Intellectuel, puisque le déclin des forces spirituelles ne peut qu’entraîner un égarement, un dévoiement de la puissance intellectuelle ; l’Art et la Religion étant les deux faces d’une même médaille (le premier est l’expression vitale et charnelle de la seconde), la « culture » ne pourra en effet que sombrer dans l’insignifiance dès lors que les hommes se détournent de Dieu ;

– Physique, enfin : car le confort matériel et technologique ainsi que l’absence de danger, de violence, en un mot : de guerre ont conduit à délaisser la force physique, à la compter pour accessoire, voire facultative ou totalement inutile… l’engouement des jeunes gens pour les salles de musculation témoigne moins d’une saine apologie de la Force que d’une « volonté de jouissance » : il s’agit de correspondre aux critères d’attractivité sexuelle en vogue, sans oublier bien sûr la « contemplation » narcissique devant le miroir, qu’on s’empressera de partager avec les autres malades égotiques à coups de selfies.

Et c’est ainsi qu’on aboutit à des existences de larves sans âme, engluées dans une sorte de virtualité, de pénombre semi-consciente, comme aspirées de l’intérieur par la futilité d’une vie au jour le jour, sans passé ni avenir, sans but ni direction, les yeux rivés sur leurs écrans mais totalement déconnectées de ce qui est το τιμιωτατον, le plus important, comme disait Plotin. Des existences (et non des vies) qui atteignent à peine la dignité des plantes. N’importe quel arbre possède plus de décence et d’honorabilité qu’un citadin occidental.

Mais est-ce à dire que les guerres sont une nécessité ? Pourrions-nous sauver toutes ces âmes en perdition en déclenchant un orage d’acier ?

Pensée absurde, cruelle.

Et pourtant.
Ne faudrait-il pas, comme dans certains pays, entretenir non pas le désir de la guerre mais du moins le désir d’être à la hauteur si elle devait, par male chance, survenir – se préparer à son éventualité ?
Ne faudrait-il pas entretenir un climat de tension permanente – par opposition aux corps relâchés, étalés, répandus de façon visqueuse, presque liquide dans les fauteuils et les canapés – afin de choquer, électrifier, raffermir ces chairs molles ?
Ne faudrait-il pas entretenir un certain idéal militaire, un certain mythe du soldat, c’est-à-dire de la Loyauté, de la Fierté, du Sacrifice… à défaut de ressusciter l’antique Code de chevalerie ?

Tout cela implique de quitter la bulle protectrice et infantilisante de l’OTAN, de rompre le lien de vassalité qui nous unit à nos suzerains américains et d’assumer désormais seuls notre Défense. J’ai bien peur que nous en soyons plus éloignés que jamais.