Qu’est-ce que l’entropie ? Pourquoi dit-on qu’elle ne peut que croître ?
L’entropie, c’est un peu comme pour les fonctions dérivées ou les équations de Maxwell : si l’on ne saisit pas sa signification physique, son « essence », alors on finit par ne manipuler que des variables mathématiques jusqu’à en oublier ce que l’on fait.
Dans cet article, je vais tenter de démystifier la notion d’entropie afin de pouvoir mettre une image ou une visualisation sur cette grandeur. Il ne sera pas question d’équations.
La flèche du temps et l’irréversibilité des transformations physiques
On a en tête le second principe de la thermodynamique sous la forme « l’entropie [d’un système fermé] ne peut que croître ». Il s’agit d’un principe très important en physique.
Si l’entropie ne peut que croître, cela signifie que toute création d’entropie est irréversible. Les réactions qui produisent de l’entropie se font donc à sens unique.
Si l’on réfléchit bien, il y a une autre chose qui n’a lieu que dans un sens. Il s’agit de l’écoulement du temps.
L’une des justifications concernant l’impossibilité de remonter le temps est justement liée au Second Principe : si l’on changeait la flèche du temps, alors cela reviendrait à se diriger à une époque de plus faible entropie, ce qui est interdit.
Dans ce qui suit, voyons une approche qui permettra, je l’espère, de comprendre à quoi correspond l’entropie et surtout pourquoi elle ne peut que croître. Cette approche fait intervenir les notions de chaleur et d’énergie thermique, mais elle reste abordable.
Que signifie le froid ? Et « refroidir » ?
Avez-vous déjà remarqué : il est facile de produire de la chaleur, mais difficile de produire du froid ? Qui plus est, les quelques méthodes pour produire du froid sont toutes accompagnées d’une production de chaleur.
En effet, pour chauffer, on allume un appareil (four, radiateur électrique, bouilloire…) et il produit de la chaleur. Pour le froid, en revanche, ce qu’on produit en froid d’un côté, on le produit en chaud de l’autre : un frigo possède un radiateur collé au dos. Même chose pour la clim qui a un tuyau d’évacuation ou le module Peltier qui doit utiliser un refroidisseur à air ou à eau.
Il y a donc une « dissymétrie » entre la chaleur et le froid, en tout pour ce qui est de leur production.
Pour la comprendre, il faut voir que le chaud et le froid sont la même chose : de l’énergie thermique, couramment appelée « chaleur ». On appelle alors « froid » quand il y a peu d’énergie thermique et « chaud » quand il y en a beaucoup. Mais il s’agit d’une seule grandeur physique.
Un objet se réchauffe lorsqu’on lui communique de l’énergie thermique. Ceci peut se faire à l’aide d’énergie électrique, cinétique, chimique par exemple. Parallèlement, et en toute logique, un objet refroidit si on en extrait son énergie thermique : c’est ce que font une clim ou un frigo.
Or si on fait ça, que fait-on de l’énergie thermique extraite ?
La réponse : à défaut de la détruire, on doit l’évacuer. D’où les grilles au dos du frigo ou le radiateur à l’autre bout d’une clim.
Pourquoi ne peut-on pas détruire de la chaleur ?
Prenons un train qui avance : tous les atomes du train vont dans la même direction avec la même vitesse. Toute la masse est donc en mouvement, et l’énergie qui y est associée est l’énergie cinétique.
La même énergie aurait pu être distribuée autrement : au lieu d’aller tous dans le même sens, les atomes auraient pu avoir des directions aléatoires. Dans ce cas, le train ne se déplacerait pas : ses atomes seraient justes plus agités. Quand tous les atomes s’agitent de façon désordonnée, c’est de l’énergie thermique. Ce train sera alors juste plus chaud.
Il est improbable que tous les atomes agités du train chaud se mettent tous — d’un seul coup et par hasard — à aller dans la même direction, revenant à mettre toute le train en mouvement.
Pour le dire autrement : il est improbable que l’énergie thermique se transforme en énergie cinétique.
Pour caricaturer, ce n’est donc pas en réchauffant le train qu’on la fera avancer.
Ce n’est en effet pas possible. Si on est cinq cent personnes à tirer sur des cordes pour tracter le train, cela ne la fera bouger que si tout le monde tire dans le même sens. Si chacun tire dans une direction différente, les forces s’annulent et rien ne bouge. Il en sera de même pour les atomes : quand l’énergie est sous forme thermique, le mouvement des atomes se fait dans des directions aléatoires, et en moyenne leur déplacement global est nul : le train n’avance pas. Il n’y a donc pas de possibilité de faire bouger quoi que ce soit dans ces conditions.
Or, sans déplacement global, pas de travail possible, et sans travail, pas d’extraction d’énergie utile.
L’énergie thermique n’est donc pas convertible en une autre forme d’énergie.
Pour conclure cette section : que le train possède une énergie cinétique ou une énergie thermique, l’énergie réelle — la quantité de joules — est la même. Ce qui change, c’est sa forme.
Dans le premier cas, les atomes vont tous dans le même sens (l’énergie est exploitable, car un mouvement global peut être obtenu). Dans le second cas, ils vont dans des sens aléatoires de façon désordonnée au niveau atomique, et l’énergie n’est pas exploitable ni convertible.
C’est là que la notion d’entropie devient importante.
Liens entre chaleur et entropie
Avec l’idée précédente où les atomes et l’énergie sont ordonnés ou désordonnés, on commence à approcher la notion d’entropie.
En effet, entre un système parfaitement ordonné et un système désordonné au maximum, il y a tout un éventail de possibilités. Pour qualifier un état donné et quantifier le taux de « désordre », on utilise l’entropie.
Comment ? On va voir ça, mais avant, quelques idées à avoir en tête.
Premièrement, il y a une seule façon pour que tous les atomes soient ordonnés, mais il y a une quasi-infinité de configurations pour que les atomes soient désordonnés.
Dans l’exemple du train, ce dernier ne peut avancer que si tous les atomes vont dans le même sens : c’est l’unique façon. Mais pour que le train n’avance pas, il y a une multitude de façons : autant que de possibilités pour les atomes de ne pas se déplacer tous ensemble.
Deuxièmement : pour toute température supérieure au zéro absolu, les particules possèdent une énergie thermique : elles s’agitent et cette agitation thermique est aléatoire. Quand toutes les particules vont en moyenne à la même vitesse mais dans des directions aléatoires, on dit que le système a atteint l’équilibre thermique. Macroscopiquement, il n’évolue plus et c’est à l’équilibre thermique que l’énergie n’est plus du tout exploitable 1 .
Une fois qu’on a produit de l’énergie thermique, elle sera toujours là. La production d’énergie thermique est donc irréversible.
Comme l’entropie ? Oui !
Dans ce qui va suivre, on va voir comment se calcule et quantifie l’entropie.
L’entropie à proprement parler
L’entropie s’exprime en joule par kelvin (J/K). Elle dépend de l’énergie thermique des particules et du nombre d’états d’un ensemble de particules. Explications.
Si l’on met 50 billes numérotées alignées le long d’une ligne, il y a 50! (50 factorielle), soit ~3×10⁶⁴ arrangements possibles.
Sur toutes ces possibilités, il y en a une seule pour laquelle les billes sont rangées dans l’ordre, et toutes les autres où elles sont dans le désordre.
À votre avis : si les billes sont laissées au hasard dans le bac, à l’aléa du temps, de la météo, des enfants qui passent à côté… les retrouvera-t-on dans l’ordre ou dans le désordre ?
Réponse : très très probablement dans le désordre.
Et c’est exactement ce qui se passe aussi avec les atomes : vu que les atomes vibrent, ils passent sans cesse d’un état à un autre parmi la liste de tous les états possibles qu’ils peuvent occuper. La chance qu’ils transitent alors par le seul état ordonné sur la quasi-infinité d’états possibles est infiniment faible !
Même si certains états désordonnés sont moins désordonnés que d’autres (seule une bille au mauvais endroit, par exemple), le nombre d’états totalement désordonnés est statistiquement plus grand que tous les autres états possibles. Par conséquent, pour un système qui évolue tout seul, il a une probabilité plus forte d’évoluer vers un état désordonné que vers un état ordonné.
Voilà pourquoi on tend progressivement vers des états désordonnés et non vers des états ordonnés.
Et si l’entropie quantifie le désordre d’un système, alors on tend aussi vers l’état de plus haute entropie.
À titre d’exemple numérique : l’entropie d’une mole de gaz parfait dans son état fondamental (au zéro absolu) aurait un seul état ordonné possible, et une entropie de 0 J/K.
La même mole de gaz dans les conditions normales de température et de pression (CNTP, soit 1 atm et 0 °C) est de 159 J/K.
Si l’on communique 8,314 J à cette mole de gaz sous forme d’énergie cinétique, dans la même direction à tous les atomes, alors le gaz se déplacera sans monter en température. Ça revient à notre exemple du train voiture, plus haut.
Mais si l’on distribue cette énergie selon des directions différentes à chaque atome, alors le gaz ne se déplace pas : chaque atome va juste plus vite dans sa propre direction et l’ensemble est plus agité. Cette énergie thermique sera responsable d’une élévation de température du gaz de 1 kelvin 2 .
En pratique, on ne calcule que des variations d’entropie au sein d’un ou plusieurs systèmes, lors de transformations physico-chimiques. Le but, en général, d’une transformation physico-chimique, est généralement de récupérer l’énergie sous une forme souhaitée, pas de la perdre en chaleur.
Calculer l’entropie créer lors d’une transformation permet de quantifier la quantité d’énergie « ordonnée » perdue en énergie désordonnée (thermique) lors de la transformation, et donc de dire si une transformation est efficiente (peu de pertes) ou pas (beaucoup de pertes thermiques).
Conclusion
Avec ce qui précède, on a compris plusieurs choses.
- L’énergie thermique globale, comme l’entropie, ne peut que croître : toutes les formes d’énergie peuvent se convertir en énergie thermique. Mais cette dernière ne peut pas être reconvertie en une autre forme d’énergie.
- Si l’on souhaite refroidir quelque chose, on ne peut pas détruire son énergie thermique. On peut simplement l’extraire pour l’évacuer ailleurs, comme un déchet.
- L’énergie thermique correspond à l’agitation aléatoire des particules. Ceci est l’opposé des autres formes d’énergie, où les agitations éventuelles ne sont pas aléatoires mais ordonnées (pensez à une énergie cinétique ou électrique)
- Les systèmes évoluent tout seuls à cause de leur température. Cette évolution est aléatoire. Si l’on a un mouvement uniforme de particules, le mouvement fini par devenir aléatoire avec le temps.
Aussi :
- Pour un ensemble de particules, il a beaucoup plus d’états (de mouvements, de positions…) désordonnés qu’il n’y en a d’ordonnés. Si le système évolue constamment entre ces différents états, il a donc beaucoup plus de chances d’aller vers un état désordonné que vers un état ordonné.
- On utilise l’entropie pour quantifie où on en est dans cette évolution spontanée. Quand l’évolution est à son niveau le plus désordonné (donc les mouvements les plus aléatoires possibles), l’entropie est maximale (et l’énergie extractible est nulle).
Avec ça, on comprend que l’énergie thermique est un peu à part : c’est la dernière forme d’énergie qu’une « unité » d’énergie pourra atteindre. C’est le terminus de la chaine de conversion des énergies entre elles : une fois qu’on a converti une forme d’énergie en une autre, à la fin, il ne reste que de l’énergie thermique.
On peut toujours déplacer la chaleur d’un endroit à un autre (c’est ce que l’on fait avec un frigo), mais on ne peut pas la retransformer en électricité ou en autre chose.
Enfin, une fois que la chaleur, l’énergie thermique, est équitablement répartie à travers un système, ou même l’univers, alors il n’y a plus rien à tirer de ce système. À part un mouvement chaotique des particules, plus rien ne peut arriver. Dans ce cas, le système est à son niveau d’entropie le plus élevé.
Notes
[1] : dans un moteur thermique, c’est bien la chaleur qui produit un travail, mais c’est seulement parce que le moteur n’est pas à l’équilibre thermique : son « écoulement » d’une région chaude à une région froide peut permettre un mouvement, et donc la production d’un travail, et donc une exploitation utile.
[2] : pour rappel, ce « 8,314 » correspond à la constante des gaz parfaits. C’est l’énergie à donner à une mole de gaz pour en augmenter la température de 1 K. Elle correspond à une mole multipliée par la constante de Boltzmann (voyez « l’origine des constantes physiques »).