« La singularité entre neurosciences et psychanalyse »
Le psychiatre François Ansermet observe trois paradoxes qui se retrouvent dans la nature en général, mais aussi dans chacune des espèces autant que dans chacun des individus, dans notre corps autant que dans nos personnalités, notre psychisme ou nos intelligences.
Premier paradoxe : La stabilité est un fait : « On a des mécanismes universaux biologiques, semblables pour tous », mais on observe que si les mécanismes paraissent stables et immuables, ils aboutissent sans cesse cependant « à produire de l’unique et du différent » et « à faire donc de chacun quelqu’un d’unique, différent et irremplaçable ». Étonnant paradoxe qui fait coexister du semblable avec du produit sans cesse différent.
Deuxième paradoxe : Chaque événement s’inscrit dans nos neurones et y laisses des traces. Chaque trace « peut s’associer avec d’autres traces », ce qui assure une continuité, mais ces traces qui se ré-associent forment « de nouvelles traces introduisant une discontinuité ». Et, « Il y a un mécanisme biologique tout à fait étonnant qu’on appelle la reconsolidation : une trace une fois inscrite, si on ré-évoque le souvenir, la trace devient labile et susceptible de nouvelles associations avec d’autres traces », de sorte que chaque trace d’un événement vécu ne provoque pas seulement du nouveau, par une association avec les traces antérieures au moment de l’événement nouveau, mais peut provoquer de multiples ré-associations ultérieures dans les neurones soit par une évocation de la mémoire soit par d’autres stimuli. Étonnant paradoxe qui fait qu’un unique événement peut ainsi sans cesse produire du différent dans l’organisme particulier qui le vit.
Troisième paradoxe : « Si on se dit que l’expérience laisse une trace et que tout peut se modifier, on est donc dans le paradoxe d’un changement permanent. Comment se fait-il, si tout change, qu’on reste le même ? ».
« Si on a un cerveau qui se modifie dans un état particulier avec un stimulus qui va modifier le cerveau et qu’on a ensuite le même stimulus, il trouvera le cerveau dans un état différent. On n’utilise jamais deux fois le même cerveau. Comment se fait-il qu’on reste le même en changeant en permanence ? »
La conclusion de François Ansermet donne à réfléchir : « A travers l’unicité, la discontinuité et le changement permanent, ce que nous enseignent les neurosciences aujourd’hui, ce serait qu’on est biologiquement déterminé pour ne pas être complètement biologiquement déterminé. On est déterminé pour ne pas l’être. On est déterminé pour recevoir l’incidence de la contingence ».